top of page

LOUVAIN «LA-NEUVE»

La ville universitaire de Louvain-la-Neuve porte son nom à juste titre. Issue d’une division de l’université catholique de Louvain au cours des années 1960, cette appellation réfère au contexte ayant mené à sa création. Un geste symbolique voulant démontrer une résilience identitaire wallonne au sein de querelles politico-linguistiques en Belgique. Ce choix se veut aussi être représentatif des décisions et orientations urbanistiques prises lors de sa planification : une ville construite ex nihilo, au milieu de terres agricoles, et presque entièrement planifiée sur papier avant sa construction.

Louvain « la-Neuve » s’affirme ainsi, non pas comme une copie, mais comme un Louvain nouveau et repensé, dont le contexte ouvre les possibilités vers un idéal urbain. Une opportunité qui sera saisie par l’administrateur général de l’époque, Michel Woitrin. Il parviendra à transformer, ce qui ne devait être au départ que l’aménagement d’un campus universitaire, en un projet de ville universitaire à l’image d’autres grandes villes d’Europe. C’est en ce sens que Pierre Laconte, urbaniste belge et directeur de l’université de Louvain entre 1966-1984, décrit l’objectif visé lors de la planification de Louvain-La-Neuve :

 

« L’objectif de l’UCL fut clairement de créer, sur les terres agricoles qui lui étaient imparties, un milieu urbain et universitaire complet, comparable à celui des villes universitaires européennes caractérisées par la mixité entre les fonctions urbaines et universitaires »  (Laconte, 2005).

 

En seulement cinq années, ce qui n’était alors qu’un champ dédié à la culture de betterave en Brabant Wallon, laisse désormais place à une ville universitaire complète dont l’importance au sein de la province croît d’année en année. Cette apparition soudaine de la première ville construite en Belgique depuis la fondation de Charleroi, en 1666, place Louvain-la-Neuve dans le mouvement européen de « ville nouvelle » apparue aux alentours de 1940. La « ville nouvelle » comme manière de concevoir la ville peut sembler quelque peu abstraite. En effet, toute ville fut un jour fondée, et donc relativement « nouvelle ». De ce fait, il apparaît comme pertinent de mieux comprendre ce phénomène, notamment, de se questionner à savoir quelles en sont les particularités qui le compose, mais aussi les conséquences sur la matérialisation et l’évolution d’une ville issue de ce concept.

 

VILLES « TRADITIONNELLE » ET « NOUVELLE »

 

La ville dite « traditionnelle » émane généralement d’une évolution et planification en plusieurs étapes. Elles sont considérées comme « le cadre complexe et permanent de projets successifs. » et dont l’origine est « [...] un événement généralement très ancien, inconnu ou oublié » (Benevolo, 2018). Autrement dit, elle s’est développée et se développe aux grés des besoins et des idéaux de chacune des époques qu’elle a dû traverser depuis sa fondation. Cette évolution lente donne lieu à des quartiers avec leurs caractères propres et leurs rythmes uniques, laissant parfois quelques cicatrices, témoin de décision et d’orientation parfois douteuses, parfois saluées. Ce qui en résulte au final est un tableau certes complexe, imparfait, mais témoin d’une histoire dont la ville en assume la complète responsabilité.

 

Vulgarisée, la « ville nouvelle » s’explique comme une ville pensée en intégralité sur papier en suivant certaines valeurs, puis construite sur un site totalement vierge. De cet angle, elle n’est pas le produit d’une évolution ou d’un développement s’étant opéré sur plusieurs années, mais plutôt le résultat éclair d’un idéal spécifique et momentané, influencé par le contexte dans lequel la ville a pris naissance.

L’apparition de la « ville nouvelle »

HISTOIRE : APPARITION DU CONCEPT DE « VILLE NOUVELLE »

La « ville nouvelle » n’est pas un concept récent, bien qu’elle ait gagné en popularité vers les années 1940. Au Moyen Âge jusqu’à l’industrialisation, dans un besoin de « […] compléter le réseau urbain capillaire sur les campagnes européennes, de coloniser les territoires limitrophes (à l’est, au sud) et de créer à cette fin, délibérément et rapidement, un certain nombre de petites villes, de bourgades rurales, de places fortes. » la « ville nouvelle » se perçoit au travers la recherche de la « ville idéale » (Benevolo, 2018). Cela se concrétisant cependant en résultats plutôt décevants. Entre 1850 et 1945, la création de « villes nouvelles » ne se fait que dans des circonstances exceptionnelles et particulières. Elles sont dans la majorité spécialisées, créées à des fins d’exploitation de ressources par certains privés très fortunés, prenant l’aspect de cités ouvrières et autres. Ce n’est qu’entre 1940 et 1946 que la « ville nouvelle » fait son apparition dans le cadre d’une politique nationale d’aménagement du territoire, le Rapport Barlow de 1940 (Merlin, 1972).

 

Ce nouvel élan pour la ville idéal est fortement inspiré du mouvement de l’architecture moderne qui débute à la fin de la Première Guerre mondiale (1918). Un intérêt pour la construction idéale de la forme visible apparaît et amène à repenser l’entièreté du décor bâti « des objets usuels jusqu’aux villes et au territoire » (Benevolo, 2018). De cela découle les « new towns » en périphérie londonienne (Harlow, Stevenage et Crawley), comptant environ 60 000 habitants. En 1960 apparaît le programme de « villes nouvelles » franciliennes, accueillant en moyenne entre 100 000 et 400 000 habitants. Ces villes, Cergy-Pontoise, Évry, Marne-la-Vallée, Melun-Sénart et Saint-Quentin-en-Yvelines, viennent ceinturer la région parisienne. Elles ont été conçues avec la motivation de créer des « centres urbains secondaires » qui devaient « jouer un rôle structurant dans la périurbanisation » de l’agglomération parisienne (Christophe Imbert, Anthony Brune et Caroline Rozenholc, 2011). Il s’agit aussi de répondre à des besoins ayant été identifiés comment crucial,  mais aussi de d'implanter « des espaces, des services ou des équipements envisagés alors comme novateurs » (Pachaud, 2005).

 

LA « VILLE NOUVELLE »

 

« Les villes nouvelles, dont nous parlerons désormais comme de créations particulières, aux exigences techniques et culturelles spécifiques, sont précisément ces organismes urbains secondaires fondés ex novo [...] leur forme déjà mûre n’est pas le fruit d’une évolution, elle a été imaginée en un projet ; leur caractère organique résulte d’un dessin qui a été tracé sur le papier avant de l’être sur le terrain ».

Leonardo Benevolo

Urbaniste et historien de l'architecture

 

Ainsi, la « ville nouvelle » ne relève pas nécessairement de son âge, mais davantage de sa naissance et de la manière dont celle-ci s’est produite. De plus, sa forme est liée de façon intrinsèque au cadre contextuel duquel elle émerge. Cet incubateur influence grandement les choix urbanistiques de la ville sur plusieurs enjeux, ce qui explique la variété de villes nouvelles ayant vu le jour. Chacune d’entre-elles présente des particularités propres à son contexte d’émergence, que ce soit à propos de son implantation, de sa typologie et même de ses principes d’aménagement.

Outre leur création ex nihilo, ce qui regroupe sous le même chapeau la majorité des « villes nouvelles » se trouve plutôt du côté des principes directeurs, guidant les grandes lignes de l’aménagement de la ville. Ces principes visent notamment l’influence vers une communauté vivante, l’insertion de loisirs à l’habitat se traduisant par l’intégration de végétation, de plan d’eau et de lieu dédier à l’exercice, un certain degré d’équilibre entre les transports en commun et automobile ainsi qu’un environnement de qualité (Merlin, 1972). Ces principes fondateurs se veulent être des guides, à titre de valeurs, dont leur visé conduirait hypothétiquement vers une solution adéquatement, et ce malgré des contextes ou des intérêts différents, pouvant mener à la création de la ville. Sur ce plan, quatre principaux intérêts se démarquent comme la cause de création de « ville nouvelle » soit ; politiques, économiques, urbaines ou encore territoriales (Merlin, 1972). Chacune d’elles ont des objectifs particuliers, qui influencent sur le type d’implantation, qui influencera à son tour la forme urbaine que prendre la ville. Tout cela se matérialise en fonction de divers principes d’aménagement, dont ceux-ci ne relèvent d’aucune règle autre que le respect des principes directeurs. 

Sous cette logique, une « ville nouvelle » issue de raisons dites « urbaines » cherche de façon générale, soit à décongestionner une agglomération urbaine adjacente en agissant à titre de « centre urbain secondaire » (Christophe Imbert, Anthony Brune et Caroline Rozenholc, 2011), ou encore à orienter la croissance (Merlin, 1972). Celle-ci sera logiquement implantée en continuité de l’agglomération

existante et prendra la forme, à plus long terme, d’un nouveau quartier ou d’une ville satellite. En ce sens, ses principes d’aménagement seront uniques et propres à ses besoins.

 

Cette manière de comprendre la « ville nouvelle » se montre particulièrement intéressante et efficace lorsqu’appliquée au cas de Louvain-la-Neuve. Cela montre toute la pertinence de s’attarder aux raisons ayant conduit à sa création. Le conflit politico-linguistique à l’origine de Louvain-la-Neuve demande une réponse à des besoins bien particuliers. Une affirmation identitaire est plus que nécessaire dans une Belgique aux prises avec de forte tension entre Flamands et Wallons qui divise le pays. Cela mène directement vers une implantation en territoire Wallon, où des terres agricoles sont propices à être cédées pour le bien des Wallons. Éloigné des grandes villes, il semble impératif pour la réussite du projet de faire du campus une ville avec une mixité fonctionnelle qui lui permettrait une forme d’autosuffisance. Cependant, cela ne doit interférer sur la qualité de la vie universitaire. C’est ainsi que la planification de la ville se voit, dès le début, prioriser la mobilité piétonne. En résumé, Louvain-la-Neuve choisit comme principes directeurs la mobilité piétonne et la mixité fonctionnelle comme guide fondateur de la ville. Ce qui résultera des principes d’aménagement plutôt innovateur pour l’époque, soit un axe structurant exclusivement piéton, une ville universitaire complète et un urbanisme sur dalle.

VERS L'ANALYSE

Si la « ville nouvelle » peut être, à juste titre, perçue comme une utopie découlant du mouvement moderne et dont la pratique aujourd’hui se voit d’un mauvais œil, la pertinence de son analyse ne s’en trouve aucunement diminuée. Celle-ci doit ainsi tenir compte que la « ville nouvelle » émerge d’une réflexion relativement courte et dont les valeurs où les principes d’aménagement sont à risque de ne représenter qu’une époque très spécifique et éphémère. Sur ce fait, les propos de Pierre Merlin, urbaniste, sur les « villes nouvelles » sont des plus pertinents : 

« Elles constituent une réalisation dont l’intérêt sur le plan urbanistique, sur celui de la vie urbaine et sociale, du point de vue de l’équilibre de la population et des activités, des solutions administratives et financières est indéniable, même s’il apparaît que les solutions adoptées peuvent être améliorées à la lumière de l’expérience acquise ».

 

Malgré cela, ce sont les principes d’aménagement choisis qui influencent son évolution dans le temps. Ceux-ci ne relevant d’aucune règle autre que le respect de valeurs étant toujours d’actualité, il n’est donc pas possible d’établir d’amblé que la « ville nouvelle » est un échec ou une réussite. Les principes employés par Louvain-la-Neuve sont ainsi analysés avec toute la compréhension ayant justifié leur utilisation. 

Simon Proulx + Audrey Martel

L'implantation de Louvain-la-Neuve

Contexte ayant mené à la création de Louvain-la-Neuve

bottom of page